Style, qualité d'écriture |
|
Originalité des situations |
|
Description des scènes d'amour |
|
Intérêt de l'histoire |
|
Note Générale |
|
Les plus : roman de science-fiction de qualité, structure romanesque complexe et inventive, pas de poncifs marqués malgré un féminisme affirmé
les moins : la structure du roman peut dérouter le lecteur inattentif, le féminisme et le lesbianisme peuvent déranger, la violence des situations est rude et peut choquer aussi bien les lecteurs que les lectrices
Née en 1937, Joanna Russ est un important écrivain de science-fiction, qui s'est engagée dans des mouvements féministes radicaux.
"The Female Man" (1975), très mal traduit "l'Autre Moitié de l'Homme" par Henry-Luc Planchat, en 1977 pour les éditions Laffont, dans la très bonne collection dirigée par Gérard Klein, "Ailleurs et Demain", décrit un ensemble de mondes probables, envisageant diverses relations entre hommes et femmes.
Le roman repose sur une structure complexe, mettant en oeuvre 4 univers possibles, autour de 4 personnages féminins, dont le prénom commence par J - les "4 J": Janet, Jeannine, Joanna, et Jael.
Janet Evason, une femme assez stupide, vit sur la planète Lointemps, planète sans hommes: ceux-ci ont tous disparu à la suite d'une Catastrophe, et seules les femmes ont survécu, se reproduisant entre elles. Lors d'un voyage dans le passé, Janet se rend sur la Terre en 1969, et y fait la rencontre de Jeannine. Jeannine vit dans un monde dans lequel la seconde guerre mondiale n'a jamais eu lieu; monde désespéré, où elle rêve de mariage avec un homme que finalement elle n'aime pas. L'une et l'autre rencontrent Joanna, dont l'univers se situe également en 1969, mais dans une année 1969 où la Guerre a eu lieu: Joanna vit toutes les contradictions de la femme, refusant les oppositions sur lesquelles la société est fondée: "je ne suis pas une femme; je suis un homme"; il n'y a "qu'un seul moyen de posséder ce que nous désirons, c'est de le devenir": devenir un homme, a "female man".
Les trois femmes finissent par rencontrer la terrifiante et invisible Jael (Alice Reasoner, Alice-Jael), la femme sans nom, dont le bout des doigts est cancereux, et qui vit dans un futur où hommes et femmes sont en guerre perpétuelle; "je suis une fanatique", déclare-t-elle, devant Manland (le monde des hommes) et Womanland (le monde des femmes), prête à tuer.
La dernière partie du livre est d'une rare violence verbale. La réalité de la sexualité de l'homme est mise à nu: baiser pour violer, dominer, parce que la femme est réduite à la menstruation et à la grossesse. En même temps, les hommes de Manland sont devenus impuissants, ignorants qu'ils sont de ce à quoi ressemble un vagin, un vrai vagin, n'ayant plus jamais "baisé" que des "transformés" et des "castrés". Ils sont prêts à proposer aux femmes de Womanland l'égalité: celles qui voudront pourront bien sûr choisir de rester femmes au foyer, ou travailler, si elles le veulent, disent-ils. Mais qu'importe l'égalité, selon les femmes, l'égalité sera toujours l'égalité pour les putains, celles qui ont un vagin, par où ça saigne et ça fait des enfants. La guerre seule vaut.
Ce roman ne laissera assurément pas indifférent. Il pourra ne pas plaire, et même être désagréable. Je pense qu'un homme ne peut pas ne pas se sentir mal à l'aise face aux conjectures de Joanna Russ qui le raye de la carte et le réduit à quelques grossiers coups de crayons - une "b...", ainsi qu'elle écrit. En même temps, il ne pourra pas ne pas être intéressé aussi. Il en va de même pour une femme qui n'est ni féministe, ni lesbienne (c'est mon cas). Je dois dire que certains passages un peu rudes m'ont même fait rire, comme si ma sexualité parfois offensée (dans son histoire ancienne - l'histoire des femmes à quelque époque -, et non dans mon histoire autobiographique) prenait quelque revanche. Ainsi quand la bagarreuse Joanna se retient de donner des coups de poings à ses interlocuteurs imbéciles, je repensais à quelques scènes où, jadis, j'avais eu (j'aurais eu? dans un improbable univers...), moi-aussi, bien envie de donner quelques "poings dans le nez", pour parler avec le Petit Nicolas. Les scènes d'amour sont assez soft, et se réduisent à quelques mots; il n'y a pas de plaisir pris à ces descriptions (par l'écrivain même); c'est plutôt un roman désespéré et brutal qu'un roman sapphique et érotique. Il n'y a guère de paix non plus dans les amours féminines. A l'exception du viol qui, entre femmes, n'existe pas - c'est là le point qui, selon Joanna Russ, est décisif. Il n'y a pas de viol sur Lointemps. Mais il n'y a pas beaucoup d'amour.
Et pour le reste, ça explose. En tout. Partout.
Quant aux poncifs féministes, il est vrai qu'il y en a (essentiellement, à le lire aujourd'hui, d'ailleurs, je pense), et que certains sont quelque peu à côté de ma sensibilité: mais j'ai particulièrement apprécié que Joanna Russ (dont le roman est tout de même écrit en 1975) consacre un très court chapitre au fait qu'on puisse accuser son roman de radotages féministes (chapitre III, 7eme partie); c'est assez joliment fait, et ici aussi, d'une rare violence.
Bref, je n'ai sans doute rien de commun, quant à la sensibilité, avec Joanna Russ, mais ce livre est un livre important, qui restera non seulement dans l'histoire de la science-fiction, mais encore dans l'histoire du roman.
A découvrir.
------------
NB: je n'ai volontairement pas mis de note pour la rubrique "scènes d'amour"; il n'y a pratiquement pas de scènes entre femmes, ou entre hommes et femmes; celles-ci et celles-là sont à peine ébauchées (c'est pourquoi je les ai caractérisées de "soft"), et ne font pas proprement l'objet du roman. Mais pour en dire quelques mots cependant, elles tiennent assez souvent en des termes précisément choisis, et violents, aussi bien lorsqu'il s'agit de décrire les relations féminines que les relations entre sexes opposés. La sexualité est, dans l'ensemble, vécue comme une guerre; l'amour est absent, les "sentiments" n'existent pas. Même la répétititon de l'hypocoristique "chérie" que les femmes s'adressent lorsqu'elles "copulent" officiellement ensemble n'a rien de très amoureux; il s'agit plus d'une marque d'appropriation que d'un véritable mot d'amour.
|