Avis

Avis Robert Laffont L'Autre Moitié de l'Homme par Lavax
par Lavax F 300 04.12.2007 00:45
Style, qualité d'écriture 4/4
Originalité des situations 4/4
Description des scènes d'amour -1/4
Intérêt de l'histoire 4/4
Note Générale 4/4
Les plus : roman de science-fiction de qualité, structure romanesque complexe et inventive, pas de poncifs marqués malgré un féminisme affirmé
les moins : la structure du roman peut dérouter le lecteur inattentif, le féminisme et le lesbianisme peuvent déranger, la violence des situations est rude et peut choquer aussi bien les lecteurs que les lectrices

Née en 1937, Joanna Russ est un important écrivain de science-fiction, qui s'est engagée dans des mouvements féministes radicaux.

"The Female Man" (1975), très mal traduit "l'Autre Moitié de l'Homme" par Henry-Luc Planchat, en 1977 pour les éditions Laffont, dans la très bonne collection dirigée par Gérard Klein, "Ailleurs et Demain",  décrit un ensemble de mondes probables, envisageant diverses relations entre hommes et femmes.

Le roman repose sur une structure complexe, mettant en oeuvre 4 univers possibles, autour de 4 personnages féminins, dont le prénom commence par J - les "4 J": Janet, Jeannine, Joanna, et Jael.

Janet Evason, une femme assez stupide, vit sur la planète Lointemps, planète sans hommes: ceux-ci ont tous disparu à la suite d'une Catastrophe, et seules les femmes ont survécu, se reproduisant entre elles. Lors d'un voyage dans le passé, Janet se rend sur la Terre en 1969, et y fait la rencontre de Jeannine.
Jeannine vit dans un monde dans lequel la seconde guerre mondiale n'a jamais eu lieu; monde désespéré, où elle rêve de mariage avec un homme que finalement elle n'aime pas.
L'une et l'autre rencontrent Joanna, dont l'univers se situe également en 1969, mais dans une année 1969 où la Guerre a eu lieu: Joanna vit toutes les contradictions de la femme, refusant les oppositions sur lesquelles la société est fondée: "je ne suis pas une femme; je suis un homme"; il n'y a "qu'un seul moyen de posséder ce que nous désirons, c'est de le devenir": devenir un homme, a "female man".

Les trois femmes finissent par rencontrer la terrifiante et invisible Jael (Alice Reasoner, Alice-Jael), la femme sans nom, dont le bout des doigts est cancereux, et qui vit dans un futur où hommes et femmes sont en guerre perpétuelle; "je suis une fanatique", déclare-t-elle, devant Manland (le monde des hommes) et Womanland (le monde des femmes), prête à tuer.

La dernière partie du livre est d'une rare violence verbale. La réalité de la sexualité de l'homme est mise à nu: baiser pour violer, dominer, parce que la femme est réduite à la menstruation et à la grossesse. En même temps, les hommes de Manland sont devenus impuissants, ignorants qu'ils sont de ce à quoi ressemble un vagin, un vrai vagin, n'ayant plus jamais "baisé" que des "transformés" et des "castrés". Ils sont prêts à proposer aux femmes de Womanland l'égalité: celles qui voudront pourront bien sûr choisir de rester femmes au foyer, ou travailler, si elles le veulent, disent-ils.
Mais qu'importe l'égalité, selon les femmes, l'égalité sera toujours l'égalité pour les putains, celles qui ont un vagin, par où ça saigne et ça fait des enfants. La guerre seule vaut.

Ce roman ne laissera assurément pas indifférent.
Il pourra ne pas plaire, et même être désagréable. Je pense qu'un homme ne peut pas ne pas se sentir mal à l'aise face aux conjectures de Joanna Russ qui le raye de la carte et le réduit à quelques grossiers coups de crayons - une "b...", ainsi qu'elle écrit. En même temps, il ne pourra pas ne pas être intéressé aussi.
Il en va de même pour une femme qui n'est ni féministe, ni lesbienne (c'est mon cas). Je dois dire que certains passages un peu rudes m'ont même fait rire, comme si ma sexualité parfois offensée (dans son histoire ancienne - l'histoire des femmes à quelque époque -, et non dans mon histoire autobiographique) prenait quelque revanche. Ainsi quand la bagarreuse Joanna se retient de donner des coups de poings à ses interlocuteurs imbéciles, je repensais à quelques scènes où, jadis, j'avais eu (j'aurais eu? dans un improbable univers...), moi-aussi, bien envie de donner quelques "poings dans le nez", pour parler avec le Petit Nicolas.
Les scènes d'amour sont assez soft, et se réduisent à quelques mots; il n'y a pas de plaisir pris à ces descriptions (par l'écrivain même); c'est plutôt un roman désespéré et brutal qu'un roman sapphique et érotique.
Il n'y a guère de paix non plus dans les amours féminines. A l'exception du viol qui, entre femmes, n'existe pas - c'est là le point qui, selon Joanna Russ, est décisif. Il n'y a pas de viol sur Lointemps. Mais il n'y a pas beaucoup d'amour.

Et pour le reste, ça explose. En tout. Partout.

Quant aux poncifs féministes, il est vrai qu'il y en a (essentiellement, à le lire aujourd'hui, d'ailleurs, je pense), et que certains sont quelque peu à côté de ma sensibilité: mais j'ai particulièrement apprécié que Joanna Russ (dont le roman est tout de même écrit en 1975) consacre un très court chapitre au fait qu'on puisse accuser son roman de radotages féministes (chapitre III, 7eme partie); c'est assez joliment fait, et ici aussi, d'une rare violence.

Bref, je n'ai sans doute rien de commun, quant à la sensibilité, avec Joanna Russ, mais ce livre est un livre important, qui restera non seulement dans l'histoire de la science-fiction, mais encore dans l'histoire du roman.

A découvrir.

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NB: je n'ai volontairement pas mis de note pour la rubrique "scènes d'amour"; il n'y a pratiquement pas de scènes entre femmes, ou entre hommes et femmes; celles-ci et celles-là sont à peine ébauchées (c'est pourquoi je les ai caractérisées de "soft"), et ne font pas proprement l'objet du roman. Mais pour en dire quelques mots cependant, elles tiennent assez souvent en des termes précisément choisis, et violents, aussi bien lorsqu'il s'agit de décrire les relations féminines que les relations entre sexes opposés. La sexualité est, dans l'ensemble, vécue comme une guerre; l'amour est absent, les "sentiments" n'existent pas. Même la répétititon de l'hypocoristique "chérie" que les femmes s'adressent lorsqu'elles "copulent" officiellement ensemble n'a rien de très amoureux; il s'agit plus d'une marque d'appropriation que d'un véritable mot d'amour.

 
   

Fiche Produit

Robert Laffont L'Autre Moitié de l'Homme

L'Autre Moitié de l'Homme

Avis, Essais, Comparer Robert Laffont L'Autre Moitié de l'Homme

Marque : Robert Laffont
Date de sortie : 12/09/1999
Prix indicatif : 8.54 €

Auteur : Joanna Russ
Littérature : Etrangère
Siècle : XXe
Collection : Ailleurs et Demain
ISBN-10 : 2221037065
Nombre de pages : 289.00 pages

Commentaires

par blue H 300 04.12.2007 19:03

Merci Lavax !
hihihi, j'ai bien aimé la référence au petit Nicolas...
Juste une chose qui m'interpelle: Il me semble qu'il peut y avoir du viol entre femmes. T'ai-je bien compris ?

par Lavax F 300 04.12.2007 19:58

Hello Blue!!
Tu m'as bien compris; mais c'est surtout Joanna Russ qu'il faut entendre.
Sa thèse est celle-ci: il n'y a viol que s'il y a pénétration. C'est-à-dire encore: il n'y a qu'un sexe qui est en position de domination, c'est le sexe masculin.
Sa thèse repose sur: (1) il y a de la différence sexuelle; (2) celle-ci se marque dans les corps; (3) il faut ajouter qu'il n'y a, pour Joanna Russ, aucun rapport, assurément entre la pénétration et des attouchements sexuels (qui, entre femmes, sont possibles, et sont aujourd'hui jugés comme des viols ou des abus sexuels). Touchant cette dernière proposition, le poids de l'histoire est évident: en 1975, les viols sont sans doute essentiellement masculins; les affaires de pédophilie ne sont pas médiatisées, et n'existent pas en tant qu'"affaires". En France, on connaît seulement (?)*** le fameux cas Gabrielle Russier, qui avait été accueilli plutôt favorablement dans l'opinion, et qui au reste n'était pas une affaire de viol, mais de détournement de mineur, et par ailleurs (c'est du moins, ce que l'opinion à la fin a retenu) d'amour.

***Tu vois d'autres affaires célèbres, pour cette époque, ayant joué un rôle médiatique important, où telle femme est accusée d'avoir abusé sexuellement d'un homme, ou d'un enfant?

par blue H 300 05.12.2007 15:23

Il est vrai que l'ethnologie semble attester de la domination masculine à travers le temps et les continents. Affirmer une spécificité du viol par pénétration du membre masculin a donc une certaine cohérence.
     Pourtant, il semble que le tabou qui pesait sur les cas de pédophilie masculine, et qui se lève depuis peu, soit encore plus pesant lorsqu'il s'agit de pédophilie féminine. Les cas de violence sexuelles sont, semblerait-il, plus élevés au sein de la famille qu'à l'extérieur. Ainsi, si il est vrai que les violences sexuelles sur personnes majeures sont sans doute plus le fait des hommes, il semble moins sûr que ce soit le cas quant à celles infligées aux enfants.
       Je n'ai pour étayer mes propos que le souvenir d'un reportage de zone interdite sur lequel j'étais tombé par hasard une nuit sur M6.  C'est un peu maigre. Cependant, cela semble en accord avec plusieurs récits de psychanalystes que j'ai entendu, confirmant l'existence d'agressions sexuelles par un excès de toilette intime, ou par des inspections gynécologiques quasi quotidiennes imposées par certaines mères à leurs enfants. Mais puisque le propos de Johanna Russ concerne les viols et pas les agressions sexuelles en général, on ne doit pas en exclure les viols effectués par des femmes sur des garçons ou des filles à l'aide d'objets. Le tabou et la pression sociale et familiale très intense qui pèsent sur les victimes laissent à penser que les chiffres ne reflètent pas l'ampleur du phénomène. Alors on peut se mettre à douter: la pulsion présente chez les humains à réduire l'autre à un simple objet de jouissance, est elle la caractéristique d'un sexe, ou de notre espèce dans son ensemble ?



EDIT:  Mais ta réponse ne contredisait en rien cela , puisqu'elle explique le contexte dans lequel s'inscrit l'oeuvre. Il est vrai que de mon coté, j'ai fait fi de l'histoire. Du coup ce que je dis relève de la volonté de discuter la thèse de l'auteur, alors que toi tu permets d'en rendre compte et de la comprendre.

par Lavax F 300 05.12.2007 18:26

Blue, je suis évidemment d'accord avec toi, touchant la définition élargie actuelle du viol (incluant l'introduction d'objets, ainsi que les attouchements). Qui plus est, elle est dans l'intérêt même des femmes....! ;-)

par Aretina F 399 05.12.2007 19:29

Hello, Lavax! :)

Merci pour ce magnifique avis et d'attirer l'attention sur ce livre! :)
Pour un instant il m'est venu à la tête un passage d'un roman de Kundera, ou il dit que si les femmes avaient dominé le monde et mené des guerres, alors le monde serait déjà détruit! :-? Enfin, mes souvenirs ne sont plus si claires que ça...

Quant à la question de cas des femmes accusées d'abus sexuel, et qui furent médiatisées: si toujours ma mémoire m'est fidèle,dans une encyclopédie de "serial killers" il y sont présents quelques couples, ou la partie féminine avait parfois le rôle dominant, quand elle ne participait assez activement a infliger des tourments aux victimes, même sous forme de abus sexuel...

par Max-x-x H 78 05.12.2007 21:31

Content que tu rendes compte de ce volume!

Même si ce n'est pas un livre sympathique et que j'ai lu avec affection, il a compté dans mes lectures.
Joanna Russ fait partie des femmes qui ont importé dans la SF, avec Pamela Sargent, Ursula Le Guinn, Zenna Anderson, etc, et qui ont développé des thèmes assez spécifiques, comme celui de la question de la différence sexuelle, ou de la question de l'engendrement.

Si elles étaient plus ou moins féministes, toutes n'étaient pas aussi outrancières que Joanna Russ, et je prends plus de plaisir à lire une anthologie du type Femmes et Merveilles (dirigée par Pamela Sargent), que L'Autre Moitié de L'Homme...!

par Mien H 300 29.05.2008 09:05

Diantre ! Quel avis ! Quel débat !
Moi qui suis un féministe non engagé, j'ai toujours détesté la littérature féministe, dans laquelle on retrouve assez souvent un principe revanchard qui me hérisse. Le féminisme étant de mon point de vue l'idéologie permettant de rendre aux femmes une place significative à tous égards dans la société, je ne comprends pas que beaucoup d'auteures -même contemporains- aient cette velléité d'inverser les rôles, ou de faire du mâle le Mal. Mais peut être suis je né un peu trop tard pour comprendre certains tenants et aboutissants. Toujours est-il que votre avis m'a donné envie de lire cette oeuvre. Sait-on jamais !

Pour apporter mon petit caillou à la discussion sur le viol, il reste 'amusant' de constater que dans de nombreux cas les abus sexuels, notamment sur enfants, par des femmes sont sensés, comme l'a souligné Blue, être pratiqués pour le 'bien' de l'enfant, au travers une toilette excessive par exemple. Là où la société a depuis longtemps expliqué à l'homme que le viol, c'est mal, et qu'il l'a assimilé, elle a longtemps défendu cette thèse soutenue par Joanna Russ manifestement que la femme, physiquement et moralement, ne peut pas être coupable de viol, par extension que la femme-mère ne peut que faire le 'bien' pour un enfant. Le féminisme, à mon sens, devrait changer cet état d'esprit et non le valider, en assumant qu'homme et femme, appartenant à la même espèce, répondent uniformément à certaines déviances, sans évidemment que la réalisation soit en tous points identiques.