Avis |
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par Marii 300
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10.07.2009 09:17 |
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Intérêt |
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Style, qualité d'écriture |
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Note Générale |
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Les plus : Sérieux, très instructif, mais en même temps vivant et passionnant
les moins : Les sources utilisées sont très principalement juridiques et factuels, j'aurais aimé que la perception des faits par les victimes, agresseurs et autres personnes impliquées ait une plus large place.
Georges Vigarello, ancien professeur d’éducation physique, agrégé de philosophie, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, est un spécialiste du corps qu’il a étudié sous différents aspects : hygiène (Le propre et le sale), santé (Le pur et l’impur, Histoire des pratiques de santé), apparence (Histoire de la beauté), pratiques sportives (Du jeu ancien au show sportif : la naissance d’un mythe) mais aussi violences faites au corps, avec cette histoire du viol du 16e siècle à nos jours.
Les agressions sexuelles ont connu une croissance très forte au cours des dernières décennies. Le point de départ de l’ouvrage de Georges Vigarello est l’interrogation qui découle de ce constat : faut-il y voir un accroissement réel du nombre de crimes et délits commis ou bien une évolution de la vision que notre société a des violences sexuelles ? La réponse à cette question nous est donnée dès les premières pages de l’introduction : c’est la seconde hypothèse qui est la bonne. Cette évolution des mentalités résulte de plusieurs facteurs développés dans le corps de son ouvrage, selon une approche chronologique :
- perception de la violence : La société d’ancien régime était une société violente. Si les châtiments prévus par la législation pour punir le viol ont toujours été sévères, ils ont bien longtemps été très peu appliqués. D’une part, les châtiments cruels et spectaculaires avaient valeur d’exemple et visaient à dissuader, la justice ne pouvant suffire à réprimer tous les crimes commis. Le crime le plus redouté et le plus puni était le vol. L’intérêt accordé au viol était faible. Il n’était pas rare qu’un arrangement à l’amiable soit trouvé, impliquant une compensation financière, et même signé devant notaire ! D’autre part, si un viol était accompagné de blessures ou de meurtres, que ce soit sur la victime ou d’éventuels défenseurs ou intervenants, le viol était souvent tenu pour quantité négligeable lors de l’instruction de l’affaire et à peine mentionné. Au fur et à mesure que la société est devenue plus sûre, le seuil de tolérance de la violence s’est progressivement abaissé.
- perception de la victime : Avant la révolution, un nombre important de viols étaient jugés en tant que rapts ou même en temps qu’adultères. L’offense n’était pas tant faite à la femme qui avait subi le viol qu’à l’homme en puissance de qui elle était, père ou mari. Bien évidemment, c’est de l’évolution de la condition féminine qu’il est ici question, mais pas seulement. Ce qui intéressait les juges, c’était de déterminer s’il y avait eu pénétration vaginale (honneur perdu si déchirément de l’hymen, possibilité de conception d’enfants illégitimes). De ce fait, les viols commis sur des victimes de sexe masculin ont longtemps joui d’une quasi-impunité. C’est seulement depuis la réforme de 1992 que le code pénal traite de façon égale les violences sexuelles contre les deux sexes. Tout au long de la période étudiée, les viols perpétrés sur les enfants ont été plus souvent jugés que les viols sur les adultes. Sous l’ancien régime, cela s’expliquait essentiellement par l’importance de la virginité, mais aussi par le fait que les agresseurs s’attaquaient de préférence, par facilité, aux plus faibles : victimes jeunes et/ou de basse condition sociale. Au 19e siècle, la vision de l’enfant a évolué, le public est devenu progressivement beaucoup plus sensible aux violences commises contre les plus jeunes. Mais les violences ainsi stigmatisées étaient les violences physiques et mauvais traitements. Les violences sexuelles étaient relativement occultées. C’est seulement au 20e siècle que leur dénonciation a pris l’ampleur que l’on connait.
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Commentaires |
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par Agaperos 537
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10.07.2009 12:37 |
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Merci pour cet avis passionnant, Marii!
Je sens que ce nouveau titre ne va pas tarder à rejoindre ma bibliothèque, d'autant que les précédents écrits de Vigarello ont été tout particulièrement appréciés !
J'attends de l'avoir lu, mais de mon point de vue, l'absence de témoignages ne fait que conforter le sujet traité par Vigarello: la notion de préjudice subi, et par le fait la représentation que l'on se fait de la victime, a évolué en même temps que la reformulation, la perception évolutive de l'acte criminel. Si le viol a longtemps été dénié ou ignoré, comment pourrait-il y avoir témoignages de victimes ou d'agresseurs? Il fallait bien qu'auparavant il y ait reconnaissance effective par la justice, et condamnation en rapport!
La notion de violence morale (contrainte, menace, position sociale dominante de l’agresseur) n’a été pressentie qu’assez tardivement.
Aujourd'hui encore elle demeure difficile à faire reconnaître...
En tout cas, cette étude bien traitée semble instructive.
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par Lavax 300
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10.07.2009 13:00 |
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Merci, Marii!!!!!!!!
Où ce volume est-il sorti initialement?
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par Agaperos 537
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10.07.2009 13:52 |
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Ben ça alors! il est sorti avant Le corps redressé! même pas vu...
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par Blacksandshore 134
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10.07.2009 22:31 |
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Je ne dirais que trois mots pour qualifier cet avis ...magnifique de synthétisme Il inspire l'envie de lire ce livre. L'auteur "justifie"-t-il la faible place de données relevant de la perception des personnes impliquées ? Quels sont les éléments de réflexion sur la société actuelle et le viol que tu as pu tirer du livre ? un futur topic ? Zut, j'ai dit plus que trois mots...
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par vestibulle 44
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10.07.2009 22:35 |
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Il est extrêmement complet et bien écrit, cet avis ! Et sacrément instructif .. Merci, Marii !!..
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par Blacksandshore 134
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10.07.2009 22:48 |
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j'ai oublié de dire : Merci Marii...
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par Marii 300
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10.07.2009 23:38 |
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Merci à tous !
La première publication était au Seuil, dans la collection L’univers historique, en 1998. C’est cette édition que j’ai, en fait. Je l’avais acheté lors de sa sortie et je l’ai relu pendant mes vacances pour vous en parler, parce qu’il m’avait passionnée.
D’après la bibliographie mentionnée dans mon édition, Le corps redressé aurait été publié en 1978. Lesquels as-tu lus, Agaperos ? Qu’en as-tu pensé ?
Quand je parlais de témoignages, ce que j’avais en tête c’était les interventions que victimes et agresseurs avaient pu faire dans les procès, puisque les procédures judiciaires sont les principales sources utilisées par Vigarello. Le premier chapitre s’ouvre sur un récit tiré d’un journal intime. L’auteur du journal raconte comment il a violé une femme avec un ami. Ca n’a pas l’air de lui poser de problème moral particulier. D’après Vigarello, il traite cet épisode comme une « anecdote plaisante » parmi d’autres. A un ou deux autres endroits, Vigarello laisse entendre que des violeurs, au cours de leur procès plaidaient que leurs victimes avaient eu une attitude de séduction vis-à-vis d’eux. Et qu’apparemment ils étaient de bonne foi. Ca m’a intéressée. J’aurais bien aimé savoir si ce sentiment de commettre un acte assez banal et pas particulièrement problématique était universel, et si cette perception avait évolué, à partir de quand et comment. Par symétrie, je me demandais si les victimes adhéraient aux vues communes, partageaient ce sentiment de banalité de l’acte, si elles éprouvaient de la culpabilité ou, au contraire, étaient sûres de leur bonne foi, si ces souffrances morales qui ont été ignorées jusqu’au siècle dernier cherchaient à s’exprimer, ou étaient refoulées, etc… Vigarello s’en tient essentiellement aux données objectives : chefs d’inculpation, sentences prononcées, éléments de preuves utilisés. A partir de tous ces éléments, il est possible d’élaborer des statistiques, de faire des analyses fiables et d’observer des tendances. Les dépositions constituent autant de cas particuliers qui représenteraient un énorme travail de dépouillement et dont il est plus difficile et hasardeux de tirer des conclusions générales. Je comprends donc qu’il ne les ait utilisées que pour illustrer certains propos, d’autant plus que cet essai est déjà très riche d’informations.
La notion de violence morale (contrainte, menace, position sociale dominante de l’agresseur) n’a été pressentie qu’assez tardivement.
Aujourd'hui encore elle demeure difficile à faire reconnaître...
Effectivement. Ca n’en a sans doute pas l’air comme mon avis est très long, mais j’ai du énormément condenser par rapport aux notes que j’avais prises et laisser beaucoup d’éléments de côté. J’aurais pu ajouter, par exemple, que Vigarello juge caractéristique de notre société actuelle et de son intolérance à la violence cette volonté de traquer la violence morale. A la fin de son livre, il consacre un chapitre intéressant au harcèlement sexuel, et s’interroge sur la difficulté de déterminer la frontière entre ce qui est permis et ce qui constitue un délit lorsque les éléments constitutifs de cet éventuel délit sont subjectifs et dépendent de la perception des différents protagonistes. Je suppose que le sujet n’a pas fini de faire couler de l’encre…
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par Claire 300
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11.07.2009 16:12 |
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Très bel avis, merci Marii !
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par Anonyme26 2
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11.07.2009 17:15 |
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ce fut très instructif, merci!
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par MarinaF 24
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12.07.2009 19:04 |
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Mille mercis pour ton si bel avis... pas si long, au vu des 364 pages synthétisées !
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par Marii 300
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12.07.2009 19:46 |
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Merci merci!
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par Lavax 300
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12.07.2009 23:28 |
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Merci pour cet ajout, à nouveau très instructif!
Une question triviale: dans la mesure où il s'agit d'un travail historique, portant sur des représentations, aussi bien que sur des faits, quelle définition se donne-t-il du "viol"?
EDIT: Autre question: mais je ne voudrais pas t'importuner non plus, et comprendrais très bien que tu me répondes de lire l'ouvrage!: pour quelle raison choisit-il comme terminus a quo de son enquête le XVI eme? (l'absence de données antérieures?)
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par Marii 300
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13.07.2009 17:26 |
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Argh... En voilà des questions intéressantes!
Pour le 16e, je ne sais pas du tout. Apparemment, pour Le propre et le sale et Le sain et le malsain - que je n'ai pas lus - il semble partir du Moyen Age. Il n'aborde pas du tout la question de la période couverte et de son choix. Peut-être est-ce du à l'absence de données, effectivement...
Pour la définition du viol, il ne donne pas la sienne, il se contente de montrer la difficulté que les législateurs et les juges ont eu à définir le viol. Mais on devine son opinion à travers quelques petits mots ça et là. Je vais relire quelques passages et revenir sur le sujet plus tard.
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par Marii 300
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15.07.2009 01:53 |
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Comme je le disais, pendant longtemps, les textes n’ont pas défini le viol. Ils se limitaient à la formule « Le viol sera puni de … ». On peut cependant en déduire que le terme de viol s’applique à la pénétration vaginale. Par exemple, le premier article de loi qui pénalise la sodomie, tiré du Code pénal de 1804, est formulé ainsi : « Les personnes coupables du crime de viol ou de tout autre crime contre nature consommé ou tenté avec violence… »
L’absence d’une définition claire donnait lieu à des débats :
D’où les discussions possibles sur le seuil de l’acte, les atermoiements éventuels sur l’existence ou la non-existence d’une intromission sexuelle, les débats s’aventurant à comparer la gravité respective d’une intromission « partielle » et celle d’une intromission « complète ». Ces débats se poursuivirent longtemps : dans la seconde moitié du 19e siècle, des médecins qualifiaient de viol l’ « intromission complète ». Donc, par déduction, sans intromission complète pas de viol.
L’introduction dans le Code pénal de 1810 de la notion d’attentat à la pudeur aurait pu clarifier les choses, puisque la création de ce nouveau crime visait à définir une échelle de gravité des violences sexuelles. Mais, là encore, la définition de l’attentat à la pudeur est vague : ce sont les gestes « exercés avec violence sur une personne avec l’intention d’offenser sa pudeur ». La nature de ces gestes n’est pas précisée et peut donc varier en fonction du contexte culturel. Ainsi, en 1881, la cour de cassation qualifie d’attentat à la pudeur un baiser sur la bouche, acte qui pouvait être considéré comme obscène au 19e siècle, surtout s’il était pratiqué avec la langue. A l’inverse, de nombreux viols étaient requalifiés en attentat à la pudeur et donc moins sévèrement punis.
C’est en 1978 seulement que le Sénat a proposé une définition claire du viol :
Tout acte sexuel de quelque nature qu’il soit, imposé à autrui par violence, contrainte ou surprise, constitue un viol.
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par Lavax 300
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15.07.2009 13:19 |
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Je te remercie infiniment, Marii, pour cette précision!
EDIT: le viol est un concept qui, désormais, peut s'appliquer aux hommes, puisqu'il n'est plus resserré à la seule pénétration (vaginale). Historiquement, à rebours, il ne pouvait y avoir viol que d'une femme. Très intéressant.
REEDIT: toutefois, demeure la question de savoir, ce qu'on attend par "acte" sexuel. A partir de quand y a-t-il acte?
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par Marii 300
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15.07.2009 15:30 |
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Oui, c’est aussi un aspect que je trouve très intéressant : le traitement juridique du viol a connu une évolution parallèle à celle de la condition féminine. Et pourtant, il est très net, au vu des statistiques utilisées par Vigarello, que l’avancée vers une égalité des sexes a été grandement profitable aux hommes dans ce domaine.
Eh oui, il y a toujours un certain flou autour de ce que recouvre la notion de viol, même si le concept a été élargi. Je pense que, comme auparavant, le but est de laisser une certaine marge d’appréciation qui soit favorable aux victimes, mais ça peut être à double tranchant. Ce serait intéressant, si quelqu’un a des compétences dans le domaine juridique, qu’il nous dise comme la justice interprète aujourd’hui le terme d’ « acte sexuel » concrètement.
Tu demandais précédemment quelle définition Vigarello se donnait du viol. Je n’ai pas réussi à retrouver les passages où j’avais remarqué qu’il sortait de sa réserve pour laisser transparaître sa pensée et, là je n’ai pas le livre avec moi, aussi je vais te répondre de mémoire. Pour lui, une fellation forcée est clairement un viol. Et je crois me souvenir qu’il assimilait aussi à un viol une masturbation de l’agresseur contre les parties génitales de la victime ou contre ses fesses, sans qu’il y ait pénétration.
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par Marii 300
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30.08.2009 23:52 |
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Je ne sais pas s'il y en a parmi vous que ça peut intéresser, mais je viens de me rendre compte que le thème des Rendez-Vous de l'Histoire de Blois cette année est "Le corps dans tous ses états" et que Georges Vigarello, notamment, y sera présent.
http://www.rdv-histoire.com/
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par patrico75 75
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31.08.2009 08:52 |
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Oui, tout ceci est tres vrai.... MAIS...que fait-on pour prévenir cette "violence" terrible..??? RIEN...notre société,faisant mine de punir, ferme les yeux sur...ce qu'elle créée..!!!! L'horreur de la HONTE Sexuelle,de la CULPABILITE,de la Désinformation sociale...la Violence (TV.;Series;Ciné.etc.):OUI Mais un discours appaisant sur la Séxualité :NON Tout le monde devrait lire "LE 2è SEXE deS.de BEAUVOIR",le 2è Tome au moins...les Femmes,certes,mais les Hommes plus..!! Ainsi que les livres de Macella JACUB (prof. en droit). Exemple: "L'anti-manuel d'education sexuelle"....on comprendrait beaucoup de choses..!! ATTENTION : comprendre pour arrêter cette "Horreur" (le viol); non pour permettre sous de mauvaises raisons..!!!!!!!!!!!!!!! Patrico
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