Style, qualité d'écriture |
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Originalité des situations |
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Description des scènes d'amour |
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Intérêt de l'histoire |
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Note Générale |
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Les plus : un classique, beauté et qualité de l'écriture (en allemand, mais j'imagine que c'est aussi valable pour la traduction française), maniement des techniques narratives
les moins : aucun, lorsqu'on prend le texte tel qu'il est
Venus à la fourrure est un de ces classiques dont la notoriété est telle qu’il est une référence voire pour ceux qui ne l’ont pas lu. Ce qui a son cote obscur, cette œuvre étant perçue sous la lumière artificielle de la médiatisation et du sensationnalisme.
Venus à la fourrure est la version romancée d’une expérience personnelle de l’auteur. Le roman fait partie d’un plus ample cycle d’écrits, Le legs de Caïn. Malheureusement, Sacher-Masoch n’a jamais mené ce projet à son but. En 1869 il reçoit les écrits d’une certaine duchesse Bogdanoff, alias choisi par Fanny Pistor. Elle voulait l’avis de Sacher-Masoch sur quelques textes qu’elle avait composés. En décembre 1869, Sacher-Masoch s’engage par contrat aux services de la « duchesse » pour une durée de 6 mois. Il accompagne Pistor à Venise où ils vivent cette aventure. De ce période date la photo de l’auteur agenouillé aux pieds de Pistor, majestueusement allongée sur un sofa, drappée d’une fourrure et munie d’un fouet.
Cet épisode est développé, avec quelques différences, dans le roman. Severin de Kusiemski rencontre la jeune veuve Wanda de Dunajew dans une station thermale dans les Carpates. Unis par leur admiration de l’Antiquité, ils tombent amoureux et Severin dévoile ses fantasmes et son idéal féminin : une déesse cruelle et autoritaire, enveloppée d'une fourrure, entourée d’admirateurs qui sont ses esclaves prêts à subir le martyre pour et par elle. Wanda acceptera, à contrecoeur, d’assumer le rôle de cette Venus. Un contrat est rédigé, Wanda et Severin partent à Florence. Un peintre allemand immortalise le couple dans un tableau identique à la photo sus-citée. Mais au fur et à mesure Severin, qui dès le debut s’affuble lui-même de dilettante, s’avère d’être aussi un dilettante en tant qu’esclave. Wanda le quitte, après l’avoir « guéri » de son fantasme.
Severin a toutefois l’excuse de l’influence de la civilisation moderne : un enfant de l’age moderne se sentira assurément dépaysé dans le monde riant des dieux anciens. Monde qui s’étayait sur les épaules écorches des esclaves. Peut-être parce que, pour citer Jean Paulhan dans sa préface à l’Histoire d’O : « Les seules libertés auxquelles nous soyons sensibles sont celles qui viennent jeter autrui dans une servitude équivalente. »
Le texte développe plusieurs idées qui occupaient l’auteur : La problématique des rapports femme-homme. Les deux sexes sont dans une permanente confrontation hostile. Seule l’égalité en droits entre les deux sexes peut mettre fin à cette hostilité. Jusqu’à ce point, il ne reste que le choix entre être le marteau ou être l’enclume.
L’esthétique de la douleur et de la soumission. Qui attend des descriptions crues et minutieuses à la Sade, sera déçu. Sacher-Masoch mise sur des procédées et techniques plus subtiles, imaginatives et expressives pour tracer le portrait de sa vision.
La reddition à la passion aveugle et inconditionnelle. En fait, elle n’est si inconditionnelle que ça : le contrat établi entre Wanda et Severin est en fait une «réglementation» de la reddition de la raison à la passion.
A niveau formel, je ne peux pas m’étendre trop : j’ai lu ce roman en allemand. Qui choisira de lire Sacher-Masoch en allemand, sera aisément séduit par sa plume. Le style est d’une remarquable élégance, très plastique et très clair. Les phrases sont précises, le succinct s’alliant au poétique. Ajoutez à cela le charme de l’orthographe de l’allemand du XIXe siècle, avec ses t aspirées, ses formules à la patine de l’antan, et vous avez une idée sur le comment des écrits de Sacher-Masoch.
L’œuvre de Sacher-Masoch est emprunte de la mentalité, de l’imaginaire et de la symbolique slave, voire orientale. Il suffit de penser à l’omniprésence du fouet, par excellence l’instrument de discipline et l’apanage d’autorité dans le périmètre slave : il a sa place très visible dans la maison des tout seigneur russe qui s’en sert pour les corrections sur les servants qui ont mis à épreuve sa patience ou satisfaction. Dans la vieille Russie, le jeune marié applique quelques coups de fouet symboliques sur le dos de la jeune mariée, afin que le rapport de force et autorité soit bien clair à la jeune épouse.
Se prosterner, se jeter aux pieds est un geste qui traduit la déférence du au supérieur. Si l’Occident à graduellement banni ce geste du à sa charge d’humilité, se contentant de codifier d’autres gestes et attitudes pour exprimer la révérence, l’Orient l’a perpétué précisément pour cette raison. A l’Orient, la révérence maintient sa direction verticale. Chez Sacher-Masoch on retrouve souvent l’idée que l’on ne peut adorer que ce vers quoi il faut lever les yeux.
Un autre symbole : la fourrure. Portée comme vêtement ou accessoire, c’est un status symbol par excellence. C’est l’apanage des potentats et l’attribut des dirigeants. Un des insignes tsariens, le bonnet de Monomaque, pendant de siècles la couronne des tsars, est bordé de fourrure de zibeline. Et les boyards ne portaient les fourrures que pour se protéger du froid.
Bref, Sacher-Masoch n’omet aucun détail pour peaufiner le piédestal où il place ses Venus, qu’elles s’appellent Wanda, Olga, Nikolaya…
Un texte important qui doit avoir sa place sur l’étagère de toute personne qui aime la bonne littérature et qui veut « lever le rideau » - ne serait-ce qu'un peu - qui recèle l’âme humaine.
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