Avis

Avis Payot La planète échangiste : Les sexualités collectives en France par vagant
par vagant H 125 12.07.2007 10:57
Intérêt 2/4
Style, qualité d'écriture 2/4
Note Générale 1/4
Les plus : Exhaustivité
les moins : Partialité, obsolescence, sensationnalisme, caricatural

La libertine est l'otage du désir masculin et fait l'objet d'un troc qui ne dit pas son nom. Tel est le credo de "la planète échangiste" de Daniel Welzer-Lang, devenu depuis sa parution l'ouvrage de référence sur l'échangisme. Fort de ses quatre années d'enquête sur le terrain, DWL en est devenu le théoricien incontesté. Cette légitimité est-elle bien justifiée ?

La couverture est sensationnaliste: "Ce livre est un événement. Pour la première fois, toute la lumière est faite sur la "planète" échangiste [...] L'immense enquête de terrain menée pendant quatre ans par Daniel Welzer-Lang [...] n'avait jamais été publiée.". L'introduction resitue le contexte. Dans les années 1995, DWL et son équipe ont enquêté sur l'échangisme avec pour louable objectif la prévention du SIDA. Son rapport de recherche qui s'est achevé en 1997 n'avait jamais quitté les rayons des bibliothèques universitaires. 8 ans plus tard, le voilà opportunément publié avec peu de remaniements, ce qui explique un chapitre obsolète consacré au minitel. Une étude qui date d'une décennie peut-elle être l'ouvrage de référence d'une pratique en pleine évolution ? La question mérite d'être posée d'autant plus que ce livre est pour le moins subjectif.

Ce rapport obéit à une hypothèse qui transparaît à toutes les pages, dès le début (p 13): "Les gens touchent, se touchent, font l'amour, échangent les partenaires féminines[...]" (p. 13). On comprend vite que selon DWL, l'échangisme consiste à échanger des femmes plus ou moins consentantes, plus ou moins contraintes, pour le bonheur de la libido masculine à l'image de la pornographie. Il faut cependant attendre le chapitre 6 (L'entrée dans l'échangisme) pour lire explicitement cette hypothèse: "Les pratiques non conformistes correspondent en premier lieu au désir des hommes de vivre des relations sexuelles avec plusieurs femmes de manière successive et/ou simultanée. L'échangisme est une forme contemporaine de polygamie masculine. [...] Une de mes hypothèses centrales est que la fréquentation des clubs échangistes réfère à la même problématique. Nous serions en présence d'une gestion conjugale de la polygamie masculine des désirs, d'une forme moins arithmétique de partage."

Après avoir introduit tous les termes du marché, DWL explicite le mode de séduction dans un chapitre au titre explicite: "De la putain à la salope...". DWL nous explique que le groupe des hommes a toujours établi une division entre les femmes: les "mamans" et les "putains", au point de parler de polygamie entre les unes et les autres. Or la figure de la salope aurait tendance à remplacer celle de la putain dans l'imaginaire érotique masculin. DWL définit la salope comme la femme non vénale qui aime le sexe dans des formes qu'aiment les homes, et qui porte des tenues sexy définies par la pornographie.
"Pour garder leur conjoint, lui plaire, les femmes [échangistes] doivent se comporter en salope [...] Dans notre étude, nous avons rencontré de nombreuses femmes qui disent aimer la fréquentation des lieux non conformistes. Ces femmes reprennent pour partie les stéréotypes de la salope, tout en revendiquant leur propre plaisir dans cette représentation de soi et ces pratiques. Mais très souvent elles n'en adoptent pas le nom, préférant nettement le terme de libertine (p. 197)".

C'est à travers ce prisme que sont interprétées toutes les interviews citées dans ce livre. Le libre arbitre féminin proclamé par quelques libertines est relativisé, la domination masculine débusquée entre les mots. "La planète échangiste" donne donc une vision subjective du libertinage, comme l'avoue DWL lui-même dans son introduction "Le point de vue développé ici, le regard qui transparaît dans les mots utilisés, est mon point de vue, mon regard" (p. 10). Cette vision est aussi panoramique. Loin d'être centré sur les pratiques échangistes "classiques" des couples, DWL aborde le voyeurisme, l'urologie, la scatologie, le SM, ainsi que tous les acteurs, des couples aux hommes seuls en passant par les professionnels. On peut donc lire des choses étonnantes. Je suis ainsi très surpris d'apprendre que "La tendance en 2005 est d'ailleurs d'aménager des backs-rooms de rencontre dans les sex-shops." (p. 62), au point de douter de la qualité des personnes interviewées lorsque je lis "Partout, que ce soit en club d'échangistes ou en soirée SM, je n'ai jamais rencontré un autre Noir, jamais [interview d'une femme qui pratique essentiellement le SM]" (p. 132)

DWL avoue aussi volontiers sa difficulté d'appréhender les échangistes, et son livre manque cruellement d'analyses quantitatives. Ainsi, on ne saura pas combien de français pratiquent l'échangisme, et les seules statistiques sont établies à partir des petites annonces de swing! DWL en déduit probablement à juste titre une sur-représentation des hommes seuls (51 %), suivis des couples (39 %) et enfin des femmes seules (3 %), le reste pour les travestis, groupes constitués et autres transsexuels (p. 83).
Les analyses qualitatives de ces annonces sont en revanche nombreuses: "Non seulement, dans l'échangisme les hommes contrôlent le sens des échanges des partenaires, mais en plus ils imposent leurs symboliques érotiques pornographiques" (p. 92). En ce qui concerne l'omniprésence de la pornographie dans les annonces, on ne peut malheureusement pas lui donner tort.

Lire "La Planète échangiste" est probablement un excellent moyen de dégoutter les futurs libertins, avec ces descriptions caricaturales (la description d'une partouze sur la plage au cap d'agde - début du chapitre 17 - est un morceau d'anthologie) et ces commentaires orientés. J'ai certes déjà rencontré certains travers fustigés par l'auteur, mais sa vision détachée ne peut rendre compte des émotions vécues. Dans ce tableau désespérant, DWL semble tout de même esquisser l'amorce d'une féminisation de la sexualité collective, et par conséquent une renégociation d'un échangisme machiste au profit de valeurs plus féminines.

 
   

Fiche Produit

Payot La planète échangiste : Les sexualités collectives en France

La planète échangiste : Les sexualités collectives en France

Avis, Essais, Comparer Payot La planète échangiste : Les sexualités collectives en France

Marque : Payot
Date de sortie : 15/04/2005

Auteur : Daniel Welzer-Lang
ISBN-10 : 2228899765
Nombre de pages : 577.00 pages

Commentaires

par Cucurbita H 300 12.07.2007 11:10

Merci vagant pour cet avis passionnant.

Je me permet de te poser 2 questions :
-l'auteur a t'il lui même pratiqué l'echangisme dans le cadre de son enquête?
-A t'il interviewé des femmes seules?

par vagant H 125 12.07.2007 11:29

L’auteur ne dit pas s’il a pratiqué ou non l’échangisme, mais il a fréquenté quelques clubs et saunas libertins, d’assez prêt pour voir si un homme portait ou non des préservatifs au cours d’une pénétration.

Il a interviewé quelques femmes seules au comportement vénal qui corrobore sa théorie, puisqu’elles étaient plus ou moins payées par les tenanciers d’établissements « libertins »…

par Nicolas6961 H 300 12.07.2007 12:13

Bonjour,

la thèse de DWL a ceci d'intéressant qu'elle rappelle que nous vivons tout de même dans un monde encore fortement empreint d'imaginaire masculin et que le partage des femmes pourrait en tout cas pour son origine en être une forme d'archétype. De ce fait les personnes dont les comportements pourraient évoquer en apparence une très grande liberté de moeurs ne seraient pas forcément les plus "libres."

De mes petites expériences dans le monde échangiste, je voudrais témoigner sans prétendre à la représentativité de mon échantillon qu'au moins une femme sur trois parmi celles que j'ai croisées me semblaient surtout soucieuses de plaire au désir de leur mari/amant/compagnon.

Personnellement, le livre de DWL entre en écho avec ma propre expérience. Je voudrais juste pondérer en disant aussi j'ai connu des personnes épanouies, équilibées et intéressantes parmi celles qui fréquentaient ce genre d'endroit. Mais elles ne sont pas, de mon point de vue, majoritaires.

Sinon, je réfute encore une fois le dévoiement par les échangistes du terme "libertinage" et ce ne sera pas ma dernière intervention sur ce thème ! ;-)

par Lavax F 300 12.07.2007 19:47

Merci pour cet avis très intéressant; as-tu lu les textes de Welzer-Lang sur la sexualité dans le milieu caracéral? Si oui, ça vaut quoi?

par Chateign F 300 14.07.2007 17:11

Merci très cher Vagant ! Très bel avis ! Je le mets sur ma liste d'achat...

par blue H 300 19.07.2007 21:16

Très intéressant tout ça...

par vagant H 125 20.07.2007 15:34

Lavax, je n’ai pas lu ce livre sur la sexualité en milieu carcéral. J’avoue que le thème ne me motive pas trop, désolé.

Chateign, tu achèteras au moins ce livre en connaissance de cause !

Nicolas, j’ai longuement fréquenté le forum échangisme / triolisme de www.aufeminin.com, j’ai rencontré nombre de ses membres et c’est sur cette base que j’a acquis la certitude qu’au-delà des défauts objectifs de la thèse de DWL, ses propos n’étaient pas insensés mais très exagérés. Néanmoins, tout n’est pas rose dans le monde dit « libertin ».
À propos de cet adjectif, comme je l’ai dit à Cali Rise dans une interview à paraître sur www.impudique.net, le libertin du XVIIIème siècle s’inscrivait dans un mouvement philosophique visant la libération des mœurs, mais aussi celle de la pensée et du savoir du joug religieux de l’époque. Diderot en est un bon exemple. Aujourd’hui, nous sommes sous le joug de la science et du droit, avec en France une forte  tendance matérialiste. La tyrannie du plaisir de Jean-Claude Guillebaud est éloquent à ce sujet. Les libertins d’aujourd’hui ne sont pas en opposition avec le cadre scientiste et légaliste actuel. Bien au contraire, leur matérialisme hédoniste s’y inscrit parfaitement. Plus libéraux que libertaires, ils ne sont que des hédonistes dont les échangistes forment un sous groupe.

par sensuelle F 147 28.07.2007 09:18

Non vraiment ça ne me tente pas. Si le livre correspond vraiment à ce que vous en dites, je pense que je m'abstiendrai de le lire. A la rigueur je pourrai l'emprunter en bibliothèque. Merci de citer des passages du livre, ça donne une idée du ton employé et du contenu de l'ouvrage.

par blue H 300 03.08.2007 06:44

Nicolas6961, Je m'interrogeais sur la différence entre le libertin et l'échangiste.  Ce qu'à dit Vagant est juste, mais l'hédonisme me semble être une qualité trop large pour définir le libertinage. Un critère complémentaire est-il le fait d'assumer d'avoir des relations sexuelles avec plus d'un partenaire (dans une même période) ? Mais je ne crois pas que ce soit non plus suffisant …

par blue H 300 03.08.2007 06:45

Vagant, j'ai apprécié ton avis. Ton parti pris est clair, et il est accompagné d'un vrai souci de rigueur. Les analyses sont très bien étayées et agréables à lire.
Ton avis et les citations  me laissent penser que Daniel Welzer-Lang n'a pas opéré une distinction importante entre les deux questions suivantes:
1 -L'échangisme est-ce forcément une pratique dans laquelle les femmes ne se respectent pas ? (la question de l'essence de cette pratique)
2 -L'échangisme est-il majoritairement une pratique dans laquelle les femmes ne se respectent pas ?   (la question du fait)

- 1) Il semble que DW-L ne pense pas seulement critiquer une certaine approche de l'échangisme, mais son fondement même. Ainsi, suivant la citation que tu donnes de la page 197,  lorsqu'il classe celles qui se disent libertines dans la catégorie des salopes (terme à mon sens extrêmement dangereux), il ne parle pas d'une partie des femmes qui disent en être satisfaite, mais de la totalité. Il passe d'une réponse à la question 2, pour affirmer quelque chose sur la 1. Or, passer d'une multiplicité de cas à un discours sur la totalité, fait bien des fois tomber dans le piège des généralisations abusives…
Cependant, bien que ces affirmations me semblent trop catégoriques et assurées, elles ont le mérite de présenter un point de vue possible. Par contre, ce dernier soulève beaucoup de questions dont les réponses ne vont pas de soi….
Certes l'anthropologie semble avoir montré l'échange des femmes comme élément fondateur des sociétés humaines (apportant une réponse aux risques de consanguinité, mais aussi comme étant le principal ciment du lien social) ; mais elle n'établit pas, me semble t-il que la polygamie vise la satisfaction de fantasmes typiquement masculins, puisqu'il s'agit avant tout d'adaptations aux exigences démographiques et à leurs conséquences croisées avec la répartition culturelle des tâches entre les sexes. Pourquoi l'échangisme serait-il plus lié à la polygynie, qu'à la polyandrie ?  Ainsi la thèse de DW-L ne repose pas tant sur un fait anthropologique que sur une conception particulière des différences de nature entre les sexes. Les hommes sont-ils naturellement plus tentés par l'échangisme, ou est-ce une conséquence culturelle superficielle ? Le propre de l'échangisme est il de suivre les critères de la pornographie ? La pornographie elle-même est-elle réellement un fruit de la nature masculine ? Tout cela est possible mais rien ne va de soi… Personnellement, je pense que le sujet des différences de nature hommes femme est l'un des plus passionnant, mais aussi des plus difficiles.
            Le mélange qui semble être fait entre les deux questions énoncées au début, fait perdre un peu de cohérence aux propos de DW-L. Ainsi, il est très intéressant qu'il se penche sur l'idée d'une féminisation de la sexualité collective. Mais alors pourquoi semble t-il refuser d'office ce statut à certaines femmes qui actuellement pratiquent l'échangisme avec enthousiasme ?

-2) Il y a au moins un point sur lequel tout le monde se retrouve: Certaines femmes au moins pratiquent l'échangisme sous la pression de leur homme. Et certaines de celles qui sont enthousiastes le sont plus pour l'excitation de l'image que cela renvoie d'elles à la gente masculine que pour l'excitation directe de la pratique (la pression peut finir par être intériorisée). Si on répond à la question 1, que l'échangisme correspond avant tout à la nature masculine, la réponse à la seconde question va de soi : toutes les femmes qui pratiquent le font pour répondre aux attentes masculines. Si on n'est pas de cet avis, un large panel de réponses reste possible. Vagant, je dois avouer ne pas savoir laquelle des deux positions suivantes te correspondrait le plus : "les femmes qui le font par pression sont une minorité" ; ou: "les femmes qui le font par pression sont une majorité de ceux qui pensent pratiquer l'échangisme, mais une minorité de ceux qui ont réellement compris ce que c'était" ?
      Nicolas6961, ton intervention apporte un élément très intéressant: si les personnes équilibrées ne sont pas majoritaires, et qu'il y a d'après toi à peu près un tiers de femmes qui subissent la pression de leur homme, cela signifie qu'il y a une partie non négligeable de personnes qui pratiquent l'échangisme pour d'autres mauvaises raisons…. Sinon, personnellement, je m'attendais à plus d'un tiers de femmes qui le pratiquaient pour plaire à leur compagnon. Bien que ce soit bien entendu toujours trop, je trouve ça presque rassurant…

        Au-delà de l'évaluation de la part de femmes qui ne le pratiquent pas par leur propre désir (la question 2), ce qui m'intrigue le plus c'est la possibilité que ce genre de pratique puisse être harmonieuse au sein d'un couple (la question 1) et vos témoignages, Vagant et Nicolas6961, vont dans le sens d'affirmer que c'est possible. J'avoue que c'est un élément présent dans certains de mes fantasmes. Mais l'échangisme me parait confronter le couple à tellement de dangers et d'inconnues psychologiques, que même si Rose était partante, je serais très réticent à en prendre le risque. Vous arrivez à le gérer sans difficultés ?

PS: Je me suis permis de laisser mon opinion sur la thèse de DW-L, mais je reconnais ne pas avoir lu le livre. Les citations présentes dans l'avis me sont apparues assez précises pour que je puisse me le permettre. Cependant n'hésitez pas à me dire si j'ai commis des surinterprétations.